L’occasion est encore belle pour certaines personnes de gloser sur l’incapacité des Africains à « entrer dans l’histoire », formule empruntée au président français Sarkozy.
Car comment comprendre qu’un pays comme le Kenya en forte croissance économique (6,7% en 2007) puisse basculer dans la violence et compromettre sa stabilité ?
Ce pays est à l’image de beaucoup d’autres sur le continent où les élections sont conflictuelles et violentes car faisant l’objet de contestations des résultats en raison de la volonté manifeste des autorités en place de truquer ces élections. Ainsi, à la suite des élections générales du 27 décembre dernier, l’opposant Raila Odinga accuse le président sortant Mwai Kibaki déclaré réélu d’avoir fraudé sur au moins 300 000 voix alors que l’écart officiel entre eux est de 231 728 voix.
La situation kenyane est très semblable à celle du Togo d’il y a trois ans, lorsqu’à la suite de la mort du président qui a régné sur le pays pendant plus de trente-huit ans, on a imposé son fils à la suite d’une élection présidentielle contestée et sanglante ayant fait plusieurs morts. Elle est aussi semblable à celle de l’Ethiopie lors des élections législatives du 15 mai 2005, semblable à d’autres encore...
D’aucuns diront que les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie en paraphrasant l’ancien président français Jacques Chirac. Mais c’est se méprendre sur la capacité des populations africaines à ne plus se faire voler leurs victoires électorales d’où le recours à la violence en réponse à la répression gouvernementale.
Loin de moi l’idée de justifier cette violence politique au Kenya, au Togo et dans d’autres pays africains. Mais il faut comprendre qu’en face des populations démunies sorties massivement (70 à 90%) pour aller voter, on oppose une armée, des forces de l’ordre et des milices en majorité issues de l’ethnie du chef de l’Etat. Qu’on ne s’étonne pas des dérapages ethniques que le Kenya offre au monde.
Car en Afrique dans la majorité des cas, quand un individu issu d’une ethnie arrive au pouvoir, c’est l’occasion pour diviser les autres ethnies et les brimer politiquement et économiquement en favorisant quelques individus de son ethnie.
Dans ce genre de situation, l’amalgame est trop vite fait car on voit dans le président qui opprime ou tripatouille les élections son ethnie. Cela peut déboucher sur des dérives ethniques comme c’est le cas actuellement au Kenya où on s’en prend à des membres de l’ethnie du président en réponse de la répression pro-gouvernementale.
Il est fort probable que dans les mois à venir voire les années à venir, d’autres pays africains connaissent le même sort que le Kenya d’autant que rien n’est fait pour prévenir ce genre de situation. Ainsi, au Cameroun, le président Paul Biya à la tête du pays depuis plus de 25 ans, s’apprête à modifier la constitution de son pays pour pouvoir briguer un troisième mandat. D’autres chefs d’Etat africains comme Bongo après plus de quarante ans au pouvoir, aspire à continuer à gouverner son pays (le Gabon) quitte à se faire remplacer à son décès par son fils comme c’est à la mode maintenant en Afrique. Nos chefs d’Etat sont-ils bornés à ce point pour méconnaître les intérêts supérieurs de leurs populations ?
Continuer à dénier aux populations africaines le droit d’avoir des élections libres et transparentes avec des résultats sortis des urnes conformes à leurs votes et le droit à une alternance politico-ethnique (qu’une seule ethnie ne s’accapare pas le fauteuil présidentiel pendant des décennies) ne fera que plonger nos pays dans de graves troubles.
L’énième crise post-électorale secouant un pays africain (le Kenya) doit offrir l’occasion à la communauté internationale de repenser les processus électoraux en Afrique. Son mécanisme de mission d’observation internationale des élections a prouvé une nouvelle fois son inefficacité. La mission d’observation électorale de l’Union européenne et celle de Commonwealth n’ayant pas pu prévenir les fraudes et les violences politiques au Kenya. (Voir mon article : Faut-il supprimer les missions d’observation électorale de l’Union européenne en Afrique ?)
Au risque de voir proliférer dans les prochaines années en Afrique des crises électorales avec pour corollaires des affrontements sanglants, les germes de conflictualité électorale (bâillonnement de l’opposition, fraudes électorales, administrations électorales partisanes, missions d’observation internationale des élections défaillantes, tripatouillage des constitutions pour perdurer au pouvoir ou pour une dévolution successorale politique de père en fils...) subsistant dans bon nombre de pays (Togo, Gabon, Guinée, Guinée équatoriale, Cameroun, Tchad, Ouganda, Burkina Faso, Zimbabwe, Gambie, Sénégal, Rwanda...), il est donc urgent de repenser les élections africaines pour que celles-ci permettent réellement l’accession pacifique au pouvoir sur le continent, des hommes et des femmes animés par l’exigence de résultats, proposant des idées nouvelles et performantes pour sortir résolument nos populations de la pauvreté.
En raison de l’incapacité et de l’illégitimité de l’Union africaine à gérer ce dossier, il importe que l’Organisation des Nations Unies puisse nommer un représentant spécial pour les processus électoraux en Afrique. Une telle personnalité ayant pour fonction de prévenir les crises électorales en Afrique devra être associée à l’organisation des élections dans nos pays.
Elle pourra, d’une part, mener des médiations électorales entre les partis politiques d’opposition et le gouvernement afin d’apaiser les tensions pré et post-électorales et formuler des propositions relatives au bon déroulement des élections comme l’impartialité des institutions (commission électorale, cour constitutionnelle...).
Au lieu d’attendre l’éclatement des crises post-électorales pour envoyer des médiateurs internationaux en vue d’amener les protagonistes à former un soi-disant gouvernement d’union nationale, sans trouver une réelle solution à la crise qui rebondira à la prochaine élection présidentielle, la nomination d’un tel envoyé spécial visant à garantir la transparence des élections en Afrique contribuera sans nul doute à dissuader les dirigeants africains de frauder les élections pour accéder ou rester au pouvoir et à favoriser l’ancrage progressif de l’alternance dans leur esprit. (Le président Chirac qui se dit ami personnel des chefs d’Etat africains n’avait-il pas dit, sur l’évolution démocratique en Afrique : « Il faut bien que les dictateurs gagnent les élections, sinon ils n’en feront plus. »)
par TSAKADI (Notaire, passionné d’actualités, du droit international et d’Afrique)